Chapitre 14

Ils étaient seulement quatre dans la jeep : le Docteur, Candace Hecker, l’agent Jennings et le général Walinski.

Le général avait insisté pour conduire. Candace était assise à côté de lui à la place du mort.

– Je veux que personne d’autre ne sache que nous avons ne serait-ce que pensé à faire ceci, à moins que nous ne soyons vraiment obligés de le reconnaître, dit Walinski tandis qu’ils quittaient la base.

Un nuage de sable tourbillonnait dans leur sillage, soulevé par leur véhicule. Il n’y avait aucun point de repère dans le paysage, et pas même de route. Mais Walinski semblait savoir exactement où il allait.

– Vous savez que c’est une idée dingue, dit Candace.

– Oui. Mais c’est peut-être la seule chose que nous puissions encore faire, Candace.

Jennings et le Docteur étaient assis à l’arrière de la jeep.

– Vous savez de quoi ils parlent ? demanda Jennings.

– J’ai ma petite idée là-dessus, reconnut le Docteur en souriant comme un gamin dans une confiserie. Et vous ?

– Pas la moindre. Dingue, ça, je comprends, mais rien d’autre. Eh ! Tous ces trucs sont dingues, du début à la fin !

– Ce n’est pas encore fini, dit le Docteur, qui s’était rembruni.

– Dites-moi, vous êtes sérieux au sujet de ces extraterrestres ? Vraiment, vraiment sérieux ?

– Vraiment vraiment sérieux. Et je constate que ni vous ni le général n’êtes montés sur vos grands chevaux en insistant sur le fait qu’il n’existe pas de vie extraterrestre, et que cette simple idée est insensée.

Jennings enleva ses lunettes de soleil et les essuya avec un mouchoir blanc immaculé, avant de les remettre sur son nez.

– J’imagine que Walinski a lu certains des dossiers que j’ai lus. UNIT, Torchwood, opération Yellow Book… les vrais dossiers, pas le truc édulcoré qu’ils publient à cause de la loi sur la liberté de l’information.

– UNIT ? releva le Docteur. Alors, vous savez qui je suis ?

Jennings esquissa un sourire.

– Je le saurais si vous étiez considérablement plus vieux.

– Croyez-moi, dit le Docteur, je suis considérablement plus vieux.

Ils roulèrent pendant environ une heure, sous un soleil de plomb et un ciel bleu sans nuages. Finalement, au loin, le Docteur aperçut quelque chose qui n’était pas simplement du sable.

Jennings l’avait vu aussi.

– Qu’est-ce que c’est ? On dirait un bâtiment. En forme de flèche…

Le Docteur ne répondit pas, mais il recommença à sourire.

En approchant, ils virent, à travers l’air frémissant de chaleur, que la construction était une grande tour blanche circulaire, dont le sommet s’effilait, pour se terminer par une pointe acérée qui semblait vouloir percer le ciel.

– Elle est encore assez loin, dit Jennings. C’est là que nous allons ? demanda-t-il à Walinski. De toute façon, il n’y a rien d’autre, dans le coin, ajouta-t-il à l’intention du Docteur.

Mais le Docteur ne l’écoutait pas. Il regardait avec attention la structure qui grandissait à l’horizon, étincelante sous le soleil.

La jeep escalada en brinquebalant une pente assez raide, ressemblant au bord d’un cratère. Il était à présent évident que la structure était bien plus haute que la partie visible au-dessus du bord du « cratère ». Le sol plongeait abruptement dans une vaste dépression creusée dans le désert.

Walinski arrêta le véhicule au bord de la dépression, soulevant un nuage de sable.

– C’est une vraie plaisanterie, dit Jennings en sortant de l’arrière de la jeep.

Le Docteur sautillait sur place avec un grand enthousiasme.

– Voilà qui est… fantastique, affirma-t-il. Brillant ! Super chouette, si vous me permettez d’utiliser un terme un peu désuet. Et, dans les circonstances présentes, je pense que j’en ai le droit.

Les quatre compagnons, debout au bord du cratère, regardèrent l’énorme structure.

– Ça me fait toujours un sacré effet, reconnut Walinski. Je ne viens pas souvent, mais, chaque fois, je suis tout bonnement sidéré par la taille de ce truc. Quand je pense à la technologie qu’il a fallu pour créer ça.

– Cent dix mètres de haut, dit Candace.

– À peu près la hauteur de la cathédrale Saint-Paul, dit le Docteur. Combien pèse-t-elle ?

– Quand les réservoirs sont pleins, plus de trois mille tonnes.

– C’est un sacré truc, c’est sûr ! dit Jennings.

En dessous, plusieurs bâtiments bas étaient regroupés autour du bord du cratère. Ils se trouvaient à bonne distance de la structure principale, au milieu, mais étaient reliés par des routes. D’énormes tuyaux allaient d’un des bâtiments à l’immense carré surélevé de la plate-forme de lancement.

Un échafaudage impressionnant s’élevait de la plateforme et grimpait bien au-delà du bord du cratère, où le Docteur se tenait. Et, maintenue par des montants de soutien, immense et fière, une énorme fusée se découpait sur le ciel.

Elle était blanche, avec des inscriptions noires, et « USA » écrit en lettres immenses le long du côté de haut en bas. Aux deux tiers de la hauteur, elle s’effilait, pour devenir le cylindre plus étroit qu’ils avaient vu en approchant du bord du cratère artificiel.

– Saturne V, dit Walinski. La plus grosse fusée de lancement jamais construite par l’humanité. Son numéro de série est SA-521 et, officiellement, elle n’existe pas.

– Vous avez dit qu’il y avait eu plusieurs missions Apollo secrètes à destination de la Lune, pour installer la base Diana, se souvint le Docteur.

– C’est exact, répondit Candace. Apollo 18 à Apollo 22. Puis le système de déplacement quantique a été activé, et cela a permis d’économiser le coût et les problèmes liés à l’envoi d’une autre fusée.

– Mais il y en avait déjà une de prête, dit Walinski. Il aurait été difficile de s’en débarrasser sans attirer l’attention, et sans soulever un certain nombre de questions. Les fusées des vols officiellement annulés, Apollo 18 et 19, et le véhicule de lancement Skylab de secours avaient déjà été mis hors service et exposés à Houston, Kennedy, et au Centre de l’espace et des fusées de Huntsville, en Alabama.

– Et donc, celle-ci est restée là, poursuivit Candace. Théoriquement, en tant que véhicule de secours, prêt à recevoir son carburant et à décoller en l’espace d’une semaine.

– Sauf que ça, c’était il y a trente ans, conclut Walinski. Qui peut dire dans quel état elle est réellement, aujourd’hui ?

– Et nous n’avons pas une semaine, dit le Docteur. Nous avons vingt-quatre heures, au plus, pour la rendre opérationnelle. (Il tapa des mains avec enthousiasme.) Et nous devrons aussi rendre le voyage plus rapide. Apollo 11 a mis quatre jours pour atteindre la Lune. Je veux y arriver en quarante-huit heures.

– Cette beauté sera plus rapide que les premières navettes lunaires, dit Candace. Les experts de l’époque avaient trouvé un moyen d’utiliser le carburant Variante M3 développé par le BERG pour les missions d’envoi de sondes vers Mars, qui n’ont pas eu lieu. Cela nous permettra de gagner pas mal de temps.

Le Docteur brandit son tournevis sonique.

– Et moi, je peux en gagner encore davantage.

– Vous savez, dit Candace, cette entreprise ne me semble plus aussi dingue que je le pensais. Si vous m’aviez dit hier que vous envisageriez sérieusement de faire décoller ce truc, je vous aurais dit que vous étiez fou. Mais, maintenant que nous l’avons devant les yeux… Ma foi, tout semble bien plus plausible.

– Si ce truc fonctionne encore, après tout ce temps, modéra Jennings. Et si vous trouvez quelqu’un d’assez expérimenté et d’assez fou pour accepter de le piloter.

– Il nous faut donc trois astronautes, dit Walinski.

– Deux, contra le Docteur. Vous en avez déjà un : moi.

– Comme si vous aviez l’entraînement nécessaire pour ce genre de choses ! s’amusa Candace.

– J’ai mon permis Mars-Vénus, répondit le Docteur, apparemment vexé. Je suis sans doute plus qualifié que n’importe qui d’autre que vous pourriez dégotter. Demandez à Jennings, il a lu les dossiers.

Jennings hocha la tête.

– Ne posez pas de question, approuva-t-il. Contentez-vous de le croire.

Après un moment de silence, Candace dit :

– Pat Ashton est théoriquement responsable du bon état de la fusée. Il a de l’expérience avec les navettes, et il peut donc probablement la piloter.

– Et Marty Garrett est revenu de sa petite expédition shopping, dit Jennings. Il a passé plus d’heures en tant qu’officier technique sur la base Diana que n’importe qui d’autre. Ce serait une bonne idée de l’emmener pour aider à résoudre le problème, là-haut.

– Garrett est l’astronaute qui est arrivé dans un fast-food, c’est ça ? demanda le Docteur. Alors, il ne me reste qu’une question à poser avant que nous mettions toute cette affaire en branle.

– Laquelle ? demanda Walinski.

Le Docteur désigna du menton la colossale fusée.

– A-t-elle un nom ?

Walinski éclata de rire.

– Elle en a un, même s’il n’est pas très original. Même si elle n’existe pas officiellement, vous avez devant vous la fusée Apollo 23.